Une autre partie des recherches en cours dans l’équipe porte sur l’étude génomique des causes adaptatives de l’évolution des chromosomes sexuels, en utilisant de nouveau les champignons comme modèles utiles d’eucaryotes. Les chromosomes sexuels chez les plantes et les animaux montrent souvent une suppression de recombinaison (par exemple entre le X et le Y chez l’homme), ce qui entraîne une différenciation et une dégénérescence ; par exemple le chromosome Y est très petit chez l’homme, avec très peu de gènes et beaucoup de séquences répétées. L’hypothèse dominante actuellement pour expliquer la suppression de recombinaison entre les chromosomes sexuels chez les plantes et les animaux, qui s’est souvent produite en plusieurs étapes successives, est l’existence de caractères qui sont bénéfiques chez les mâles mais délétères chez les femelles, ou inversement. Il existerait alors une sélection pour lier successivement les gènes responsables de ces caractères aux gènes de déterminisme du sexe. Cependant, très peu de preuves de ce processus ont pu être documentées malgré des années de recherche. Les champignons fournissent, là encore, de bons modèles pour tester ces hypothèses, car certains possèdent des chromosomes de types sexuels avec une suppression de recombinaison, alors que les types sexuels ne sont pas liés aux fonctions mâles et femelles. Chez les champignons, les gènes de types sexuels déterminent la compatibilité sexuelle, deux génotypes étant compatibles si, et seulement si, ils ont des allèles différents aux gènes de type sexuel, mais sans qu’il existe d’autres caractères différents entre les types sexuels.

Les champignons du genre Microbotryum ont été les premiers chez qui des types sexuels ont été identifiés, au début du XXème siècle, et les premiers chez qui des chromosomes de types sexuels différenciés et non recombinant ont été décrits. Pendant longtemps, ces chromosomes n’ont pas pu être assemblés étant donnée leur quantité de séquences répétées. Grâce à l’assemblage complet du génome de l’espèce M. lychnidis-dioicae que nous venons d’obtenir, nous avons pu montrer que les chromosomes de type sexuel sont non-recombinants sur près de 90% de leur longueur. De plus, ils présentent un degré de réarrangements et de dégénérescence exceptionnel. Des centaines de gènes ont été perdus dans un ou l’autre des types sexuels, et de nombreuses mutations délétères ont été identifiées, en termes de remplacement d’acides aminés, d’expression sous-optimale des gènes ou d’accumulation d’éléments transposables. De façon encore plus remarquable, nous avons montré que la suppression de recombinaison sur les chromosomes sexuels de M. lychnidis-dioicae s’est produite en plusieurs étapes successives, alors qu’il n’existe pas de fonction mâle et femelle chez ces champignons, tous les gamètes ayant la même taille. Les chromosomes de type sexuel du champignon M. lychnidis-dioicae présentent donc des convergences remarquables avec les chromosomes sexuels des plantes et des animaux, et ce, bien qu’ils ne soient pas associés aux fonctions mâles et femelles. Ces résultats suggèrent que la théorie évolutive dominante expliquant l’évolution des chromosomes sexuels par une adaptation optimale différentielle des mâles et des femelles est sans doute à reconsidérer. Nous sommes en train de tester des hypothèses alternatives, comme une sélection pour abriter à l’état hétérozygote permanent des mutations délétères qui s’accumuleraient dans les régions en bordures des régions non recombinantes. D’autre part, notre jeu de données unique de génomes extrêmement bien assemblés de plusieurs espèces de Microbotryum nous a permis de montrer que la suppression de recombinaison avait évolué de nombreuses fois indépendamment et récemment, par des réarrangements chromosomiques différents, et avec des strates évolutives indépendantes. Il s’agit donc d’un cas de convergence évolutive remarquable, avec certainement un fort avantage adaptatif, que nous sommes en train d’essayer d’identifier.