Nous avons étudié les facteurs qui influencent la virulence des maladies, c’est-à-dire la sévérité de leurs symptômes, pour essayer de comprendre comment et pourquoi un pathogène s’adapte pour devenir mortel ou au contraire bénin. En utilisant de nouveau les champignons Microbotryum comme modèles biologiques, nous avons réalisé une des premières études vérifiant certains attendus théoriques importants : 1) les infections multiples (c’est-à-dire la présence de plusieurs génotypes de pathogène dans un même hôte) augmentent la virulence, tandis que 2) l’apparentement entre pathogènes au sein d’un même hôte diminue la virulence grâce à la coopération; 3) les parasites castrateurs sont sélectionnés pour augmenter la survie de leur hôte, pour pouvoir se transmettre plus longtemps.

Tous ces travaux ont permis de mieux comprendre 1) comment émergent les nouvelles maladies dans les agrosystèmes et les écosystèmes naturels, 2) comment s’adaptent les champignons pathogènes à de nouveaux hôtes ou à des changements globaux, 3) quels sont les facteurs contrôlant la virulence des maladies. Ces avancées entraînent des perspectives appliquées, en agriculture et en médecine, mais aussi pour le maintien de la biodiversité.

Domestication des champignons du fromage et des saucissons

Un projet développé récemment dans l’équipe porte sur l’étude de la diversité et de la domestication des champignons Penicillium du fromage, qui sont d’excellents modèles pour comprendre les processus génomiques d’adaptation des organismes, grâce à leurs petits génomes, la sélection forte et récente exercée par l’homme pour des caractères connus (couleur, métabolisme, …), des phénotypes assez simples à étudier expérimentalement et la possibilité de validation fonctionnelle. L’homme fabrique du fromage depuis le Néolithique, et la sélection s’est accentuée et mondialisée plus récemment. Il s’agit donc d’un excellent modèle pour comprendre les mécanismes évolutifs générant une biodiversité, ou la réduisant, et pour comprendre les mécanismes d’une adaptation rapide à un nouvel environnement.

Nous avons analysé les génomes de Penicillium camemberti, utilisé pour la production du camembert et du Brie, et P. roqueforti, utilisé pour la fabrication des fromages à pâte persillée, et nous les avons comparés à d’autres génomes de Penicillium non présents dans l’environnement fromager. Nous avons démontré qu’il s’était produit une adaptation au fromage très rapide à l’échelle évolutive, les populations utilisées pour l’affinage poussant mieux dans les conditions du fromage, riche en sel, en lipides, en protéines, et excluant mieux les autres micro-organismes compétiteurs. Nous avons également montré que l’adaptation rapide au fromage s’était réalisée par de multiples transferts de gènes horizontaux entres espèces du fromage, pourtant très distantes génétiquement. Nous avons notamment mis en évidence des transferts horizontaux très récents comprenant des gènes impliqués dans le métabolisme du lactose et d’autres dans la compétition contre les autres micro-organismes du fromage. Ces régions du génome étaient identiques sur toute leur longueur entre toutes les espèces présentes dans l’environnement fromager, mêmes très éloignées génétiquement, et par contre absentes de tous les autres Penicillium et des bases de données publiques. Nous avons d’autre part étudié la diversité génétique au sein de P. roqueforti, et nous avons identifié plusieurs groupes génétiques différenciés, dont deux sont inoculés dans le fromage, un est constitué uniquement de souches récoltées sur des milieux autres que le fromage, comme le bois ou l’ensilage, et le dernier est constitué de contaminants alimentaires. Ces travaux ont permis d’améliorer notre compréhension des processus génomique d’adaptation rapide à de nouveaux environnements, en particulier en soulignant l’importance des duplications de gènes et des transferts horizontaux, même chez les eucaryotes.

Nous développons actuellement des études de génomique comparative et de génomique des populations pour étudier l’adaptation parallèle de deux espèces de champignons Penicillium utilisées pour la fermentation des saucissons (P. salami et P. nalgiovense). Comme pour les champignons Penicillium du fromage (cf. travaux), il s’agit de cas d’adaptations parallèles, récentes et rapides, dans deux lignées phylogénétiquement éloignées, sur le même nouveau milieu anthropisé, riche en sel, lipides et protéines. Nous réalisons des expériences pour tester l’existence de caractères différenciés entre les populations du saucisson et celles d’autres environnements, qui indiquerait qu’une adaptation s’est effectivement produite. Nous avons d’ores et déjà détecté par génomique comparative des transferts horizontaux très récents et spécifiques entre les champignons Penicillium utilisées pour la fermentation des saucissons, et nous étudions les fonctions des gènes qu’ils contiennent. Nous sommes d’autre part en train d’analyser une dizaine de génomes de chacune des espèces de Penicillium du fromage et du saucisson pour étudier la diversité génétique et détecter des traces de sélection, pour identifier des régions génomiques impliquées dans l’adaptation. Nous développons également des approches de transformation génétique pour tester l’implication des gènes candidats identifiés chez les Penicillium du fromage et du saucisson dans l’adaptation aux nouveaux milieux anthropisés.

Nous souhaitons également continuer à développer nos études sur les champignons utilisés pour l’affinage des fromages pour comprendre les processus génomiques impliqués dans l’adaptation parallèle d’espèces phylogénétiquement éloignées à la même niche écologique. Nous projetons en particulier de séquencer les génomes de nouvelles espèces utilisées pour l’affinage des fromages, phylogénétiquement distantes entre elles et distantes des espèces déjà étudiées. Grâce à l’étude d’adaptations parallèles (au moins cinq lignées indépendantes), notre projet permettrait de tester s’il existe des adaptations convergentes, avec des mécanismes génomiques communs et/ou si les mêmes caractères / gènes / régions génomiques ont été ciblés par la sélection.