Un autre projet développé dans l’équipe, en collaboration avec Amandine Cornille (GQE Le Moulon) porte sur l’étude de la domestication du pommier. Depuis la découverte en Asie Centrale d’une espèce de pommier sauvage (Malus sieversii), portant de relativement grosses pommes (M. domestica), il était admis que cette espèce sauvage asiatique avait donné naissance au pommier cultivé. Nous avons montré, à l’aide de marqueurs génétiques hypervariables (microsatellites), que l’histoire de la domestication du pommier était plus complexe : nous avons révélé que les variétés de M. domestica portaient dans leurs génomes des traces de flux génétiques récents depuis d’autres espèces sauvages présentes le long des routes de la Soie, par lesquelles le pommier a été ramené en Europe au temps de la Rome Antique lors de ses échanges commerciaux avec l’Asie. En particulier, nous avons détecté de très fréquentes et récentes traces d’introgressions génétiques (c’est-à-dire des imports de fragments génomiques d’une espèce vers une autre par des hybridations entre espèces) dans le génome du pommier domestique venant du pommier sauvage européen, M. sylvestris, présent à l’état très disséminé dans nos forêts. Le pommier sauvage européen a donc été un contributeur secondaire, mais important, au génome du pommier domestique actuel, à tel point que les variétés de pommes cultivées actuellement en Europe sont plus proches génétiquement du pommier sauvage européen que de son ancêtre initial asiatique. Réciproquement, le pommier domestique a également introgressé le pommier sauvage européen à tel point qu’il met en danger l’intégrité et les ressources génétiques du pommier sauvage européen. Nous avons montré que les introgressions étaient d’autant plus fréquentes que les régions étaient anthropisées. D’autre part, nous avons montré que les filières commerciales vendent des graines de pommiers sauvages qui sont en fait des hybrides, voire des pommiers domestiqués. Les graines distribuées par l’ONF correspondent bien à des génotypes sauvages, mais avec une base génétique très restreinte ; une très faible diversité génétique est donc replantée actuellement. Nos travaux ont entraîné la publication de lois de protection du pommier sauvage et la mise en place de vergers conservatoires.

En utilisant les mêmes marqueurs génétiques, nous avons étudié la structure génétique du pommier sauvage européen à travers sa distribution géographique en Europe. Nous avons montré que cette espèce est structurée en trois groupes génétiques, un groupe s’étendant sur l’ouest de l’Europe, un autre dans les Carpates et un dernier dans les Balkans. Ce type de structure génétique témoigne de l’existence de refuges glaciaires dans le sud de l’Europe lors de la dernière glaciation: le nord de l’Europe ayant été recouvert de glace, les plantes n’ont pu persister que dans les péninsules ibérique, balkanique et des Carpates, entre lesquels il n’y avait plus de flux de gènes, entraînant une différenciation génétique. Lors du réchauffement post-glaciaire, les populations ont recolonisé le nord de l’Europe, en gardant leur structure génétique. Cette connaissance de la structure génétique du pommier sauvage est essentielle pour la mise en place d’une politique de conservation de cette espèce menacée par l’anthropisation, pour conserver sa diversité génétique et son adaptation locale. Nos travaux ont donc apporté un nouvel aperçu de l’histoire évolutive du pommier domestique, qui a une grande importance économique et culturelle. Nous avons montré que le pommier sauvage européen était mis en danger par des flux de gènes provenant du pommier cultivé et nous avons révélé sa structure génétique, qui reflète des réponses aux changements climatiques passés, qui peuvent contribuer à prédire, voire atténuer, les conséquences des changements climatiques actuels.

Un autre axe des recherches porte sur les études des introgressions entre le pommier cultivé et le pommier sauvage européen, au niveau génomique, et sur le rôle adaptatif ou délétère de ces introgressions. Nos travaux récents ont bouleversé la vision de la domestication du pommier et ont révélé un danger pour la conservation du pommier sauvage européen du fait de ces introgressions (cf. travaux). Cependant, nous n’avions jusque-là utilisé que 35 marqueurs génétiques, dans des régions non codantes. Nous sommes en train d’analyser les séquences des génomes complets de 60 pommiers cultivés, et 5 pommiers de chacune des espèces sauvages européens et asiatiques.  Le but est d’évaluer l’importance des flux de gènes réciproques entre le pommier domestique M. domestica et le pommier sauvage européen M. sylvestris, au niveau génomique global, à la fois quantitativement et qualitativement. Il s’agit de déterminer si le pommier sauvage européen a contribué à des caractères sélectionnés par l’homme lors de l’évolution après sa domestication initiale en Asie Centrale, comme des caractères de résistances à des maladies, d’adaptation au climat ou au sol, ou de robustesse. Réciproquement, nous souhaitons déterminer si les introgressions du pommier sauvage européen par le pommier domestique mettent en danger sa persistance, si au contraire elles permettent une meilleure adaptation, ou si elles sont neutres. Plus généralement, nous souhaitons contribuer à comprendre les processus génomiques évolutifs responsables de l’adaptation des organismes. Ces questions se situent à la pointe de la biologie évolutive et ont des conséquences appliquées, en termes de conservation d’espèces menacées et d’amélioration variétale.

Nous collaborons d’autre part avec Christophe Lemaire (INRA Angers) pour étudier les conséquences de la domestication du pommier sur le champignon responsable de la tavelure du pommier, Venturia inaequalis, en séquençant de multiples génomes de différentes régions d’Europe et d’Asie et de différents hôtes. Il s’agit là encore de s’en servir comme modèle pour comprendre l’adaptation rapide à un nouvel environnement : le champignon responsable de la tavelure du pommier s’est différencié en s’adaptant à la domestication de son hôte, et il existe plusieurs populations différenciées qui forment des hybrides dans les zones de contact entre les différents hôtes. La population de champignons sur le pommier cultivé apparaît plus agressive et plus généraliste que les populations sur pommier sauvage. Là encore, il s’agit d’un bon modèle pour comprendre l’adaptation rapide à un environnement anthropisé et la génération de la biodiversité.