L’équipe utilise depuis 15 ans différentes approches (expérimentations en laboratoire, modélisation, terrain, génétique des populations, génomique) pour étudier la diversité des champignons et comprendre comment les organismes évoluent et s’adaptent à leur environnement, en utilisant les champignons comme modèles. La question de l’adaptation est fondamentale pour comprendre le monde vivant, et elle a également une importance appliquée dans le cadre des changements globaux actuels (changements du climat mais aussi mouvements d’organismes à l’échelle de la planète et urbanisation) et des demandes croissantes de nourriture. D’autre part, la diversité microbienne et son évolution sont encore mal connues, alors que les champignons ont une grande importance écologique et économique. En effet, les champignons assurent de nombreux services dans les écosystèmes (comme le recyclage de la matière organique et les symbioses essentielles avec les plantes), ils peuvent être des pathogènes dangereux dans les populations naturelles ou les cultures, et ils ont été domestiqués pour des usages variés, de la fermentation de la nourriture à la production d’antibiotiques.

Depuis quelques années, l’équipe s’est fortement orientée vers des études génomiques, pour obtenir de nouvelles perspectives sur les mécanismes d’adaptation. Les champignons sont de bons modèles eucaryotes pour ces questions, étant donnés leurs petits génomes, leur phase haploïde accessible, et les données fonctionnelles disponibles. Nous avons pu obtenir un assemblage complet du génome de l’espèce Microbotryum lychnidis-dioicae, grâce aux améliorations récentes de la technologie Pacific Biosciences, qui produit de très longues lectures. Cet assemblage a été le premier génome eucaryote publié en étant presque complètement assemblé avec des nouvelles technologies de séquençage. L’analyse du génome de M. lychnidis-dioicae a permis de dégager des caractéristiques qui sont en lien avec le mode de vie biotrophe obligatoire de ce champignon. Nous avons montré que le génome de M. lychnidis-dioicae possédait notamment un répertoire d’effecteurs potentiels sous forme de petites protéines sécrétées et des expansions de familles de gènes comme des lipases qui pourraient permettre de dégrader les cires cuticulaires de la plante hôte.

Nous avons également séquençé les génomes de cinquante individus pour étudier les bases génomiques de l’adaptation chez M. lychnidis-dioicae. En effet, un épisode d’adaptation récent laisse des signatures particulières : par exemple lorsqu’un allèle bénéfique est sélectionné, la fréquence de cet allèle dans la population augmente rapidement, ainsi que celle des allèles qui lui sont liés, créant une baisse locale de la diversité dans le génome. C’est ce qu’on appelle un balayage sélectif. Notre étude de génomique des populations a révélé des balayages sélectifs dans une cinquantaine de régions du génome chez M. lychnidis-dioicae (17% du génome est affecté par des balayages sélectifs récents). Dans les régions génomiques des balayages sélectifs, les catégories fonctionnelles les plus représentées sont liées aux fonctions d’’interaction avec l’hôte. Il s’agit d’une des premières études de balayages sélectifs à l’échelle d’un génome complet bien assemblé d’eucaryote, et les résultats montrent qu’une proportion inattendue du génome est impliquée dans un épisode d’adaptation récente et identifie des fonctions clefs. Globalement, les résultats des études ci-dessus sont importants pour la compréhension de l’évolution de nouvelles espèces de champignons pathogènes émergents, et de leur adaptation sur de nouveaux hôtes.

Nous utiliserons également des approches de génomique comparative pour comprendre les mécanismes de la formation des espèces et de l’adaptation en utilisant comme modèles des champignons pathogènes Microbotryum, causant la maladie stérilisante du charbon des anthères sur les plantes de la famille des caryophyllacées. En effet, il existe plus de 100 espèces dans ce groupe, très proches phylogénétiquement mais spécialisées sur des plantes hôtes différentes. Il y a donc eu une radiation adaptative, avec des spécialisations sur des niches écologiques très différentes et bien identifiées, ce qui en fait un excellent modèle pour étudier les mécanismes génomiques responsables. Nous avons déjà obtenu des assemblages de très grande qualité de génomes de 20 espèces de Microbotryum pathogènes de plantes différentes, ce qui constitue un matériel unique, permettant d’étudier des processus encore très peu connus, comme le rôle des pertes et gains de gènes, des réarrangements chromosomiques, et des localisations dans des régions particulières des génomes. En effet, les nouvelles technologies de séquençage ne permettaient pas jusqu’à il y a un ou deux ans d’obtenir des informations sur la structure génomique, alors qu’il est essentiel de comprendre si certaines régions des génomes, comme par exemple les régions riches en éléments transposables, les télomères ou les inversions chromosomiques, jouent un rôle important dans les processus d’adaptation, en générant de la variabilité ou en protégeant des association bénéfiques d’allèles par une suppression de recombinaison. Il s’agit d’une nouvelle frontière de recherche sur la génomique de l’adaptation.